Spinoza, ou l’art d’apercevoir l’éternel

Publié le par Jefka

Spinoza fût tout autant honni qu'admiré, emporté dans un déchaînement de passions ayant pour origine le contenu de son œuvre. La communauté juive dont il fût l'un des membres le rejeta cérémonieusement une fois que ses idées se révélèrent aux consciences religieuses. Enfant d'Amsterdam, la ville marchande sert au jeune homme quelques courants contestataires qui le rallient à une voie par trop hétérodoxe pour les représentants judaïques. Sans ressource financière, il lui faut pourtant vivre. L'artisanat l'accueille et toute sa vie il sera polisseur de lentilles. Le contraste est ainsi saisissant entre la modestie de sa condition sociale et l'immensité de sa pensée. Spinoza est l'exemple d'une justice intellectuelle qui ne prend pas acte d'une condamnation religieuse. Spinoza artisan dispose donc de moyens de subsistance suffisants pour se consacrer par ailleurs à une activité qu'il estime au-dessus de tout, notamment de ces futilités qui peuplent le monde matériel. La philosophie sera son cheval de bataille le conduisant aux frontières d'une contrée où se livreront certains secrets de l'existence. Quels sont-ils ?

La première expérience ne concerne pas moins Dieu, ou plutôt la représentation de celui-ci. En effet, pour Spinoza, Dieu et la nature ne sont qu'un, composants d'une seule et même substance. Il n'existe point d'entité transcendante au monde. Spinoza rompt ainsi avec l'idée convenue d'une séparation entre le cosmos et une essence qui le gouverne. Il ne s'agit pas non plus pour lui de dissoudre Dieu mais de le confondre dans la réalité des choses. Le divin est présent partout, le monde est divinisé. Cet apport théorique est d'une portée considérable d'un point de vue épistémologique car il induit que la connaissance par l'homme de la nature lui délivre les clés pour discerner le divin. L'homme, dans sa quête vers le salut, a dorénavant le savoir pour allié, à condition que ce savoir ne soit pas bercé par les illusions. A ce titre, Spinoza tord le cou à tous ceux qui prétendent que l'être humain est le seul maitre à bord dans cet univers qui le loge. Il affirme au contraire que les actes sont la conséquence d'un déterminisme caractérisé par des liens de causalité. Les effets dont il nous plaît généralement d'en prendre l'entière responsabilité ne sont en fait que la résultante de causes dont nous ne sommes pas les promoteurs et dont la nécessité nous échappe. Dieu ou la nature n'est pas épargnée par cette vision, mais contrairement à nous, les causes lui appartiennent, elles ne lui sont pas extérieures.

Reste à savoir maintenant si l'homme, à qui l'on accorde une certaine dose d'irresponsabilité, peut se soustraire de toute contrainte dont la morale se fait l'écho. N'étant pas dans l'absolu le capitaine de son vaisseau, peut-on reprocher à l'individu les marées et les vents qui secouent son existence et par la même occasion celle des autres ? La sagesse de Spinoza est de ne pas balayer d'un revers de la main toute idée de justice au service de l'ordre général. La sanction doit exister pour préserver chacun de la menace potentielle que représente son voisin. Condamner, c'est avant tout garantir la paix d'une société contre tout désir outrepassant l'intégrité physique et morale de ses membres. Car du désir, Spinoza en fait le moteur de nos décisions, en le positivant contrairement à la notion de manque à laquelle il a si souvent été associé. L'objet ou le sujet n'a de valeur que parce qu'il est désiré, tel est en substance le message de Spinoza. Le désir est donc la propriété de l'homme, tout en sachant que cette détention n'est pas exonérée de toute loi déterministe.

Peut-on ainsi conclure que la condition humaine n'est exclusivement vouée qu'à s'épanouir pieds et mains liés, en bonne exécutante ? Notre situation n'est-elle que symptomatique d'un état d'emprisonnement dont les barreaux seraient ce corps et cet esprit qui nous servent d'identité ? Peut-être, mais Spinoza ne reste pas figé sur ce constat. Il nous indique une porte de sortie censée nous conduire vers un espace de liberté, certes contenu, mais qui n'en constitue pas moins un accès à l'éternité. Cette issue est la connaissance des causes qui influent sur notre vie. Même si connaître n'induit pas la gouvernance des effets, le sachant a cependant la faculté d'accéder aux mécanismes qui s'affranchissent du temps et régissent l'univers. La philosophie n'est donc pas une matière froide, ni uniquement scolastique, mais c'est aussi et surtout un art de vivre dans la lumière.

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